Résumé :
Imaginez un monde où la plupart des changements climatiques seraient la faute des plus fortunés, mais qu'au lieu d'y remédier, ces derniers se contenteraient de détourner le regard et de plébisciter la création d'œuvres d'art virtuelles. Imaginez maintenant un monde où les médias, de la chaîne de télévision au journal local, seraient démantelés ou rachetés, permettant à ces mêmes milliardaires de vivre impunément de leurs trafics en tout genre. Imaginez enfin que, pour assurer leur propre prospérité, de riches industriels testent leurs produits nocifs sur des populations sans ressources, incapables de se protéger. Imaginez alors que ces personnes les plus riches, pour échapper à la vindicte mondiale, s'échappent sur l'île sanctuaire qu'ils auront pris le temps de construire. Eh bien, n'imaginez plus ! Ce monde existe... bientôt.
Critique :
Partant d’un concept simple dans un futur étrangement proche, Billionaire Island est une mini-série signée Mark Russell et Steve Pugh. L’œuvre, éditée par Urban Comics en France, propose de découvrir une île où les plus riches de ce monde, à savoir les milliardaires, se réfugient après avoir achevé de saborder notre planète.
Drôlement satirique, le récit brille par sa capacité à retranscrire les aberrations de notre monde actuel (j’y reviens) en se projetant de quelques années dans le futur sans avoir à forcer le trait : en effet, Russel appuie là où cela fait mal (enfin, pas pour nous, probables exilés de Billionaire Island) en pointant du doigt les agissements nauséabonds de ces milliardaires. Sans détour et avec beaucoup de férocité, le scénariste n’hésite ainsi pas à exhiber l’inconscience générale de ces ultra-riches qui ont mené (ou mènent, selon le prisme actuel) la planète droit dans le mur. Opulence et inconscience, excentricité et monstruosité, tous les adjectifs péjoratifs sont associables à ces personnages qui, s’ils sont purement de fiction, ne peinent pas à trouver leurs équivalents évidents dans le monde d’aujourd’hui. Et c’est là que Russell marque le plus de points, tant il arrive à dénoncer intelligemment ces deux problématiques (qui n’en forment souvent qu’une seule), celle de la répartition inégale des richesses et celle de la destruction de l’environnement, quoiqu’il en coûte.
Si cette satire terriblement violente et cohérente fonctionne, notamment dans sa critique du rapport entre argent et environnement, Russell se perd à mon sens selon deux aspects.
En premier lieu, l’écriture des personnages « normaux » fait un peu défaut. Effectivement, si les personnages secondaires sont amusants dans leur décalage à leur réalité, le duo de personnages principaux manque d’authenticité et/ou de développement. Cruellement caricaturaux, l’œuvre tourne trop autour de ces deux « héros » sans toutefois proposer quelque chose de véritablement intéressant avec eux puisque tout le sel du récit repose sur la présence des milliardaires (généralement hilarants). L’erreur se confirme d’ailleurs d’une certaine façon dans la conclusion proposée pour le personnage principal masculin qui donne l’impression que Russel ne sait pas trop quoi faire de ce dernier… La conclusion générale de l’œuvre est par ailleurs la seconde petite déception : celle-ci est abrupte, trop vive et ne s’appesantit jamais sur les conséquences de chaque acte. Les cinq premières issues sont en effet beaucoup plus posée et exposent bien chaque situation, tandis que la dernière issue donne le sentiment d’une écriture plus rushée, comme si son scénariste avait été contraint – au dernier moment – d’écrire une fin en une issue. Rien de bien méchant en somme mais un petit goût d’inachevé qu’il convient de souligner.
Aux dessins, Steve Pugh s’éclate avec un style maîtrisé mais néanmoins beaucoup plus léger, épuré et doux. Chaque personnage a une identité forte d’un point de vue visuel, les couleurs sont vives et bien travaillées de sorte à offrir un contraste incroyable entre l’histoire et sa représentation graphique sur papier.
Conclusion :
En bref, Billionaire Island est de ces œuvres qui savent dénoncer ce qu’elles ont a dénoncer. Tout n’est pas parfait mais le concept est respecté et offre une lecture aussi divertissante qu’elle ne pousse à la réflexion sur notre monde et les enjeux de demain. Sa force ? Réussir à décrire un futur à partir du présent sans avoir à forcer quelque trait que ce soit et en gardant tout cela crédible.
Valentin
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