Résumé :
Quand la Terre suffoque de par l'exploitation de ses dernières ressources, l'humanité se tourne vers un nouveau territoire, l'espace, au-delà des planètes du système solaire : « La Frontière ». Dans cette nouvelle ruée vers l'or, trois destinées s'entremêlent : Ji-soo, scientifique passionnée par l'inconnu ; Camina, mercenaire fougueuse et enjouée ; et Alex, un mineur qui n'a jamais connu la Terre. Ce récit d'aventure narre le parcours tumultueux de ce trio, mais aussi de leur quotidien, celui de vivre dans un nouveau monde. Il pose la question d'une nouvelle humanité complètement déconnectée de son berceau, la Terre, pour se tourner uniquement vers les étoiles.
Critique :
Comment s'accomplir et trouver une forme de liberté dans un système conçu pour nous écraser ?
À partir de la trajectoire elliptique de ses trois personnages orbitant autour de cette question afin de revenir un peu à leur point de départ mais transformés, Guillaume Singelin nous présente ses pistes de réflexion et il conviendra aux lecteurs de les utiliser ou non pour trouver ses propres réponses.
Tout d'abord il faut réaliser le réel de sa condition, puis avoir le déclic conduisant à la volonté forte de s'en extirper et finalement – peut-être le point le plus important – disposer d'une bonne dose de chance dans les rencontres qui jalonne son chemin...et si la chance se fait mauvaise, avoir la résilience nécessaire pour la tourner en positif.
La découverte de cette bande dessinée a été pour moi un premier contact avec une œuvre de l'auteur.
« Frontier » nous évoque un univers très dense. Sans pour autant préciser à quel point, l'état des technologies et du système solaire nous fait comprendre que nous sommes dans un lointain futur. Mais si l'on ne compte pas le nombre de révolutions autour de notre étoile nous ayant mené au début de l'histoire, il est clair qu'aucune révolution n'a su changer de manière pérenne la manière profonde de fonctionner de la société. Les frontières bougent, mais ayant conquis l'espace infini l'avarice d'une poignée d'hommes cherchant à tout découper et tout privatiser se fait toujours plus gourmande, ne rencontrant plus vraiment de limite physique et dans un cynisme total terraformant des planètes juste pour mieux les saccager ; mais elle reste opposée à la force de compassion d'une Humanité pourtant toujours plus étouffée, et même pour beaucoup enfermée dès la naissance dans des complexes spatiaux liés à une entreprise, mais composée d'individus qui compteront toujours sur l'espoir pour s'en sortir.
Dans cet univers nous suivons un trio composé de :
Camina : bras armé au service du plus offrant au sein des guerres de corporations et qui décidera de se couper de tout ça ; devenue alors ex-mercenaire cherchant si ce n'est la rédemption au moins une manière de faire un peu de bien autour d'elle, et dont le chemin est pavé de réflexions sur le karma.
Ji-Soo : la scientifique pleine de rêves broyés, transformée en une lucide mais un brin trop piquante épine dans le fondement du système ; pas foncièrement une partie du problème mais dont le cynisme n'est certainement pas la solution.
Et Alex : le relativiste gentil rouage dans la grosse machine, pas vraiment satisfait de sa situation mais ne connaissant qu'elle et qui essaie de la vivre au mieux sans trop se poser de questions ; une cocotte-minute sifflant silencieusement dans le vide spatial et qui ne se sait même pas être au bord de l'explosion.
Ces trois grains de sables d'êtres humains vont cependant être suffisant pour enrayer ponctuellement la folle machine capitaliste. Nous vivrons avec eux leurs aventures pour s'en extraire aussi bien physiquement que psychologiquement, se défaire de l'emprise de ses codes.
Mais tout n'est pas si simple, car est-ce seulement possible de se libérer totalement d'une vie de chaînes ?
Le récit se veut positif quand il parle des accomplissements de ses personnages cherchant à faire la paix avec leurs origines, optimiste dans le fait qu'il est toujours possible de trouver d'autres voies plus saines, plus sereines, mais beaucoup moins dans ce qu'il sous-entend que chaque avancée dans la bonne direction ne touchera pas tout le monde et ne durera que le temps d'attirer sur soi les projecteurs du capitalisme, avant de devoir immanquablement recommencer ce cycle d'enfermement/libération.
L'introduction le résume d'ailleurs assez bien en nous présentant Ji-Soo qui a passé des années à mener à bien le projet de sa vie pour se le voir subtiliser et dévoyé au dernier moment, juste avant que son rêve de prenne enfin vie. Un projet qu'elle devra quitter mais qui ne la quittera jamais vraiment et qui, tel un symbole, encapsule toute l'importance du combat quotidien fait de petites victoires sporadiques.
On peut en définitive y voir une course-poursuite où le but serait de produire un maximum de Bien avant que les corporations soient attirées et tentent de produire un maximum de biens.
Un message doux-amer qui constate un inéluctable gâchis permanent à échelle globale pour aller chercher l'espoir dans l'infiniment petit.
Ce gâchis représenté par les destructions environnementales et les piètres conditions de travailleurs à la limite de l'esclavagisme (la majorité du peuple étant trop endetté pour espérer légalement tirer sa situation vers le haut) ne nous est cependant pas montré si frontalement que ça, ni trop explicité à coup d'exposition qui paraitrait évidente.
Comme je le soulevais plus haut, le monde a beau avoir avancé dans le temps il reste très proche du nôtre. Ainsi le lecteur arrivera sans mal à se projeter dans les problématiques de cet univers et superposer de nombreuses images de catastrophes qu'il aura forcément en tête.
Les passages planétaires se révèlent donc pour beaucoup l'occasion de voir une nature préservée ou restant belle malgré les ravages de fond, comme pour donner un objectif à ces personnages qui la traverse, leur montrer qu'il reste encore des oasis et leur donner la motivation de redoubler d'effort dans la lutte contre ceux qui viennent la détruire petit bout par petit bout. Même si en définitive cette leçon peut-être cruelle et la nature impardonnable même pour ceux avec les meilleures intention, preuve que certains ne pourront jamais totalement s'éloigner de leurs racines.
Mais comme dans un bon blockbuster « Frontier » est aussi capable de proposer de l'action virevoltante, nous faisant expérimenter un vrai sentiment d'urgence pour ces personnages.
Il y a des scènes visuellement très efficaces utilisant à merveille la Gravité Zéro dans ses plans et les déplacements des personnages (l'attaque initiale par les Sparrow par exemple) ou au contraire l'impact de l'attraction sans pitié d'une planète.
Je pense aussi à une scène de sauvetage aux ⅔ du livre où l'on jurerait pouvoir entendre les différents pilotes se parler aux intercoms comme des pilotes dans un Star Wars, et l'on imagine leurs signaux d'alerte dans une folie cacophonique. Une très bonne scène, appuyée en plus par des ajouts de détails techniques qui font sens à propos de la manière de procéder, mais ceci-dit peut-être un peu longuette si je devais apporter une contrepoint (le seul moment où j'ai légèrement glissé hors de l'œuvre).
Le récit oscille entre pages où les échangent se font nombreux (souvent impactant ou croustillant) et économie de texte ; et les meilleures moments proviennent de dialogues très courts mais incisifs, ou de ces planches qui se font silencieuses ou presque pour nous laisser admirer les compositions et l'immensité des décors aux couleurs vibrantes.
Car s'il est un excellent auteur, Guillaume Singelin est un artiste époustouflant.
L'essentialité qui se dégage de son coup de crayon vient rencontrer sa grande générosité pour les détails.
Il sait nous en donner beaucoup et rendre ses environnements intérieurs denses et vivants, fouillis mais aussi très clairs pour nous projeter sans effort dans son riche univers.
Ses personnages sont petits et trapus, ronds et d'aspect simple : toute la force est alors d'y faire passer le spectre complet des émotions. Les visages se limitent souvent à quelques traits sans fioritures mais idéalement placés et avec des lignes tellement précises qu'on peut distinguer toutes sortes de subtilités dans chacune des expressions. En outre il insère toujours un ou deux détails permettant une identification immédiate, et travaille des postures soignées toutes plus naturelles les unes que les autres, toujours dans l'économie de tracés permettant d'ajouter encore des tonnes de détails aux costumes et accessoires tout en évitant d'alourdir les dessins.
Les décors sont à l'inverse proportionnés de manière tout à fait réaliste et s'avèrent grandioses, les paysages planétaires, leurs étendues et leur magnificence nous coupant régulièrement le souffle au milieu d'une aventure haletante. À un niveau plus élevé encore ce sont beaucoup les couleurs qui nous invitent à contempler le vide stellaire, une toile de fond mouchetée d'une myriade de points venant nous rappeler à quel point notre Soleil n'est qu'une étoile parmi tant d'autres.
Et le génie vient nous caresser la rétine quand le tout se mêle en une parfaite harmonie via des jeux d'échelles remettant ces petits êtres rabougris à leur place ou les laissant faire corps avec leur espace. Il arrive ainsi à toujours nous faire comprendre en un coup d'œil l'ambiance d'un lieu et l'état d'esprit de chacun de ses occupants, nous invitant parfois même à profiter d'une petite pause avec eux.
À cela s'ajoutent des séquences d'action toujours très lisibles où l'espace est maîtrisé, des plans plus larges dans la colossale station Rock Breaker où la perspective et la minutie des détails nous permettent d'observer longuement différentes zones comme celles d'une immense fourmilière venant appuyer le propos initial, ou bien encore des petites pépites comme cette coupe du Dolphin (le vaisseau de Camina).
Quant à cette question qui ouvrait mon texte, je ne suis pas sur de pouvoir y répondre moi-même, ou plutôt il me manque encore le courage de vraiment chercher les réponses qui s'adaptent à mon cas, bercé dans le petit confort de mon caisson de Rock Breaker. Mais comme quelques autres avant lui ce livre alimente mes réflexions, et si ce n'est pas tout de suite que j'aurai le déclic, peut-être plus tard, et si ce n'est pas moi, peut-être un autre lecteur ?
Ou peut-être suis-je juste condamné à être tel Alex avant sa rencontre avec Goku, à me dire que je fais ce que je peux. Et c'est déjà pas mal, nan ?
Conclusion :
Il serait bien difficile de vouloir résumer toute la richesse de cette œuvre en quelques lignes tant son auteur a été généreux aussi bien dans l'exploration des thématiques de son histoire que dans son dessin.
Le tout est encore une fois proposé dans un objet à la fabrication splendide et au prix défiant toute concurrence.
Avec « Frontier » Guillaume Singelin me confirme à nouveau tout le bien que je pense de l'esprit du Label 619 et de ses talents. Une œuvre qui laissera probablement peu de personnes indifférentes et que vous refermerez un peu changé.
Fabien.
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