Contexte :
Shangri-La est une bande dessinée de Mathieu Bablet sortie en 2016 au Label 619 prenant place dans un futur où ce qui reste de l'humanité (sur)vit dans une station spatiale gérée par la corporation Thianzu, un lieu de consumérisme où les inégalités sont exacerbées.
En 2020, l'équipe d'Umanimation lance un financement participatif via KissKissBankBank afin de proposer une expérience immersive : une réinterprétation de l'histoire dans une salle de spectacle où différents écrans diffuseraient des passages animés de l'œuvre, accompagnés de voix et de musiques jouées par des musiciens en direct. Une campagne qui aura eu bien du mal à atteindre son objectif pour être finalement financée à 100% au dernier moment grâce à un don anonyme.
Mais la programmation de la tournée escomptée (ainsi que l'avant-première prévue) a été mise à mal par la pandémie de Covid-19 empêchant de fait toute représentation. Quand la situation a pu revenir à la normale, de gros manques de communication sont apparus – au milieu d'une réorganisation interne – et aucune liste de dates concrètes n'a été annoncée ; en lieu et place, seulement quelques très rares dates aux annonces assez confidentielles et ayant laissé place à un nouveau silence radio.
Alors que les engagements du projet n'ont pas encore été tous tenus, l'équipe a finalement annoncé une première série de trois dates à la base sous-marine de Bordeaux, de quoi espérer un déblocage de la situation et que le spectacle pourra sillonner le reste de la France dans un avenir proche.
De loin on pourrait donc qualifier le projet de « development hell », et après tout ses déboires se poser la question : était-il enfin prêt à faire vivre à ses spectateurs l'expérience promise ?
Critique :
Alors que Shangri-La est à mon sens la meilleure œuvre de Mathieu Bablet et, plus généralement, une des meilleures œuvres de l’excellent Label 619, c’est avec une certaine curiosité que j’abordais ce “concert immersif”, tant pour le désir de prolonger l’expérience sur Tianzhu que de l’envie de découvrir quelle singularité pouvait se cacher derrière une telle promesse.
Très factuellement, décrivons l’expérience pour qui ne saurait pas de quoi il en retourne : le public est disposé dans une pièce supposée carrée (rectangulaire, dans les faits). Sur chaque “mur” sont projetées des images - sur lesquelles nous reviendrons - tandis que, dans chaque coin de la pièce, quatre musiciens surplombent la salle dans une sorte de “cage” de barres lumineuses…
Ne jouons pas le mystère : ce spectacle, aussi innovant soit-il, n’est pas tout à fait à la hauteur de ses promesses et s’avère même, à bien des égards, assez décevant. En premier lieu, force est de constater que ce concert immersif est loin de rendre honneur à l’œuvre originale, elle si sublime, travaillée et minutieuse. Si les projections reprennent évidemment les planches dessinées par Mathieu Bablet, le tout n’est pas toujours très joli : les cases sont parfois mal mises en valeur, les présentations sont parfois extrêmement statiques (alors que l’effort est parfois fait d’animer certaines parties ou personnages) ou encore certaines cases - petites sur le papier - sont ici projetées en plein écran les rendant forcément pixelisées et/ou pas très détaillées (pourtant une force de Bablet).
De plus, la présentation des textes elle-même pose problème. Les textes sont affichés dans un encadré gris clair en fond, et l'on ne peut ignorer le grand nombre de fautes d'orthographe et de frappe. Cette négligence dans la qualité de la rédaction compromet sérieusement l'expérience globale. Les fautes d'orthographe et de grammaire nuisent à la crédibilité de l'adaptation de l'œuvre de Bablet, d'autant plus que le texte original était sans doute soigné et impeccable. Un choix d’autant plus curieux que certains textes sont interprétés par des comédiens et permettent, quand ils le sont, de mieux s’imprégner de l’histoire qui nous est narrée.
Un autre point de frustration concerne la manière dont l'histoire est présentée. Le texte semble souvent tronqué, ce qui peut laisser le spectateur dans l'incertitude quant à la suite du récit. Cette lacune dans la narration nuit à la compréhension de l'histoire, d'autant plus que l'œuvre originale est connue pour sa complexité et sa richesse narrative. Cette adaptation immersive aurait pu être une opportunité de donner vie à l'histoire de manière captivante, mais elle semble plutôt l'écorcher.
Cependant, il convient de noter que l'utilisation des quatre écrans est l'un des rares points positifs de cette expérience. Il y a des moments bien pensés où les écrans interagissent de manière créative, créant une dynamique visuelle intéressante. Ces moments de synchronisation entre les écrans témoignent de l'effort et de l'ingéniosité déployés dans la mise en scène de ce concert immersif.
En ce qui concerne la musique, il est indéniable que les quatre musiciens jouant depuis les coins de la salle ajoutent une dimension immersive appréciable à l'expérience. La musique parvient à créer une atmosphère et à renforcer l'impact émotionnel de certains moments clés de l'histoire. C'est un aspect du concert qui mérite d'être salué, offrant un lien entre le public et l'œuvre originale.
Conclusion :
Bien que l'idée d'un concert immersif basé sur l'œuvre Shangri-La de Mathieu Bablet soit intrigante, l'exécution laisse à désirer. Les problèmes liés à la présentation du texte, les fautes d'orthographe, les transitions abruptes entre les modes de narration et la troncation du texte compromettent la compréhension et l'appréciation de l'histoire. Cependant, quelques moments bien orchestrés avec les écrans et la qualité de la musique parviennent à sauver partiellement cette expérience immersive. Il est dommage que l'adaptation n'ait pas su rendre pleinement justice à l'œuvre originale, qui méritait une meilleure mise en valeur.
Valentin.
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