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Photo du rédacteurFabien

The Last Ronin

Dernière mise à jour : 15 mars




  • Résumé :

Le clan Hamato n’est plus et les Foot règnent sur un New York post-apocalyptique ravagé par les guerres civiles… mais le dernier survivant de la fratrie des Tortues rôde dans l’ombre. Hantée par les fantômes des tragédies passées, la mystérieuse Tortue se lance dans une mission désespérée pour venger l’honneur de sa famille disparue.


  • The Late Ronin

Avant de rentrer dans le vif du sujet, revenons un peu sur la génèse de l'œuvre, de ce récit perdu dans le temps qui comme une capsule temporelle (ou son personnage principal) a disparu pour ressurgir et attaquer le marché en force bien des années plus tard.


Nous étions en 1987

La série de comics « Teenage Mutant Ninja Turtles » créée par Kevin Eastman et Peter Laird trois ans plus tôt – et passée très vite d'un premier tirage confidentiel à des réimpressions – continue à paraître avec un succès grandissant. À peine plus d'une dizaines de numéros sont déjà sortis et la renommée des Tortues Ninja est sur le point de prendre une toute autre ampleur avec l'arrivée prochaine de son adaptation animée.


C'est un âge d'or pour la licence où tout est en train de se construire, et ses auteurs encore complices cherchent toujours à surprendre leur public et trouvent une nouvelle inspiration dans le tout récent récit dystopique du Chevalier Noir : « The Dark Knight Returns » de Frank Miller. Ils écrivent tout un script dans lequel ils imaginent une fin probable aux aventures de leurs personnages, une déconstruction de leur univers avec une Tortue ayant survécu à la perte de ses frères et de son entourage et cherchant à se venger des responsables.


Mais lorsque le dessin animé sort, la folie qui s'en suit fait changer les priorités des créateurs qui passent alors un temps considérable sur la promotion et le merchandising.

Le projet « The Last Ronin » devient un dommage collatéral de l'explosion de la licence, pour finir d'être oublié des années plus tard quand les différends créatifs provoquent l'éloignement des co-auteurs.


Nous étions en 2019

Les Tortues Ninja ont eu droit à un retour à zéro en comics en 2011 chapeauté par Tom Waltz, Kevin Eastman et Bobby Curnow ; une réécriture complète de l'histoire depuis les origines, allant piocher dans les diverses visions de l'univers au fil des années (classique, films ou encore séries animés) pour un résultat rencontrant un vif succès.

Et alors que le numéro 100 – prévu comme un véritable pivot – s'approche de plus en plus avec Sophie Campbell à la reprise du scénario, Waltz s'interroge sur l'après et cherche un nouveau projet toujours dans cet univers qu'il affectionne particulièrement.


C'est suite à une discussion avec Kevin Eastman – sorte de miroir de celle entre lui et Peter Laird en 1987 – que ce dernier lui parle de « The Last Ronin » avec dans l'idée d'enfin réaliser ce comics. Eastman contacte l'autre détenteur de l'idée originelle, Peter Laird avec qui la relation s'est réchauffée dernièrement après qu'il ait pu le retrouver pour le tournage d'un épisode de « The Toys That Made Us ».

Laird donne volontiers son accord pour la reprise du pitch initié avec son comparse une trentaine d'années plus tôt, mais ne désire pas pour autant officier en tant que scénariste à plein temps ni suivre la réalisation du comics. Il sera cependant bien évidemment crédité comme co-auteur.


Le projet est donc bien relancé – l'événement sera annoncé dans les pages de fin du numéro 100 – avec Tom Waltz comme scénariste principal accompagné de Kevin Eastman qui retrouvera ses notes d'époque et dessinera d'ailleurs une première version du premier numéro avant qu'Andy Kuhn – l'un des dessinateurs emblématiques de la série de 2011 – ne soit annoncé comme artiste sur la mini-série. Eastman restera cependant en charge des layouts, son talent pour délivrer des mises en scène percutantes n'étant plus à prouver.


Le scénario sera réactualisé (les événements du brouillon de 1987 devant se passer en 2017), mais en conservant beaucoup d'éléments principaux du script original imaginés par un Peter Laird à l'esprit bien en avance sur son temps et même décrit par Eastman comme visionnaire, prédisant la manière dont notre monde pouvait se transformer dans sa société, technologiquement, et dans son climat, tout en réussissant aussi à encapsuler l'âme des Tortues qui est à cette époque et sera pour les décennies à venir.


Mais alors que l'écriture et le dessin ont déjà avancé, un premier chamboulement arrive par le remplacement d'Andy Kuhn sur la série. D'abord toujours annoncé sur le premier numéro pour un changement au second, sa participation est totalement annulée et c'est donc finalement une sorte de réinitialisation du projet pour ce qui concerne cette partie : Esau Escorza et Isaac Escorza se chargent du premier numéro, puis sont rejoints pour la suite et jusqu'à la fin par Ben Bishop, avec toujours Kevin Eastman comme maître orchestrateur.


Nous sommes en 2022

Après moults retards accumulés à chacun de ses numéros, le cinquième et dernier sort en avril, marquant enfin un point dans une histoire vivant jusque là majoritairement comme un souvenir lointain dans l'esprit de ses initiateurs. Du côté des lecteurs, il s'agit très certainement d'une nouvelle entrée référence dans la licence sur papier.


Mais si l'histoire est complète et peut se suffire à lui-même c'est n'est pour autant pas un point final car, bien aidé par le succès critique et commercial, une extension de l'univers a déjà été annoncée avec un premier spin-off intitulé « The Lost Years » à paraître tout bientôt et qui reviendra sur des passages de la vie du dernier rōnin pendant son exil forcé.


En attendant, c'est au tour de HiComics de nous proposer en français ce comics majeur pour nos tortues mutantes favorites, dans une édition qui devrait lui faire honneur.

Et ça tombe bien : la question de l'Honneur est au centre du récit.



  • Critique :

Des quatre frères il n'en reste plus qu'un, le dernier rōnin, réapparaissant dans sa ville après des années d'exil pour une dernière mission : son ultime vengeance ruminée depuis bien trop longtemps envers celui qui lui a tout pris.

Mais tout au fond de son âme que le deuil a rendu noir comme le bandeau qu'il arbore désormais, est-on certains qu'aucune étincelle d'espoir ne subsiste, et que l'esprit des Tortues Ninja ne pourra pas ressurgir ?


Le récit s'ouvre sur l'arrivée de cette Tortue que le texte n'identifie pas, face à sa ville d'origine désormais bordée par une eau toxique. Une ville repliée sur elle-même et dont la technologie sert au dernier des Oroku à maintenir le contrôle sur la population ; une population comptant tout de même ses mouvements de contestation opérant discrètement, et le gang aux influences punk typique des œuvres du même genre et des années 80. Une ville qui pourrait à la fois faire penser à une Gotham coupée une énième fois par un super-vilain, le Los Angeles de Blade Runner ou encore pourquoi pas la New-York de Snake Plissken.

Notre rōnin est une Tortue vieillissante, seulement accompagné de ses pensées qui matérialisent des fantômes de son passé ; il fonce tête baissée dans cette ville, droit vers son objectif, n'ayant plus rien à perdre et fort d'un entraînement intensif basé sur les écrits de son Père et Maître, Splinter.

Mais bien sûr tout ne sera pas si simple, et son parcours l'amènera à repenser sa stratégie solitaire et à confronter son passé…


J'évoquais plus haut le fait que l'histoire peut être vu comme une réponse-hommage à « The Dark Knight Returns » de Frank Miller, mais il ne faudrait surtout pas l'aborder comme une transposition de cette œuvre dans l'univers des Tortues Ninja. C'est en réalité un hommage à plusieurs niveaux avec sa propre identité.

Tout d'abord, le récit est un peu un hommage à lui-même, ou plutôt à son idée apparue par deux fois dans un contexte similaire : une réflexion à l'après pour secouer un peu une machine déjà bien rôdée. La deuxième fois étant la bonne et confirmant un adage de beaucoup de créatifs comme quoi il ne faut jamais rien jeter.

Ensuite, c'est un hommage à la création même de la licence. L'histoire est désormais bien connue : les Tortues sont apparues d'une blague de soirée entre leurs deux créateurs, conduisant à un démarrage sous forme de parodie sérieuse de Daredevil, série alors scénarisée par Frank Miller (qui avait par exemple récemment créé l'organisation « The Hand » qui se retrouve détournée en « Foot Clan »). C'est donc un juste retour des choses, quand vient le moment de penser à la dernière aventure des Tortues de prendre comme point de départ de l'inspiration la réinvention et dernière aventure du Chevalier Noir imaginée par le même Frank Miller, en 1986 (un héros qui partage des traits communs avec nos Tortues et qui finira même par les rencontrer à plusieurs reprises). D'ailleurs Frank Miller apparait dans les remerciements en postface, aux côtés de Jack Kirby qui avait scellé l'amitié des créateurs tout deux passionnés de l'auteur.

On en vient donc à l'hommage à « The Dark Knight Returns », qui se retrouve en réalité surtout dans le point de départ et le ton : son héros est vieillissant, plus massif et déterminé que jamais, à la fois usé et endurci par les tragédies, qui ne se reconnait plus dans sa ville ; il se parle beaucoup à lui-même, commente via des encarts de pensée ses actions, ses erreurs et ses coups de chance ; ils échoue pour mieux se relever, et aura pour l'accompagner une nouvelle alliée imposant sa place et sa fraîcheur (celle du rōnin ayant même un nom dont la sonorité semble faire écho à « Carrie Kelley »).


Mais ne nous y trompons pas, c'est bien une histoire des Tortues Ninja avant tout. Et une très bonne histoire d'ailleurs ! Elle ne cherche pas à reproduire l'aspect fortement politisé du modèle évoqué mais préfère suivre sa propre voie et le fait bien, plaçant son focus sur le développement de son personnage et détaillant ce qui l'a conduit à évoluer comme il l'a fait et à se remettre en question.

On ne sait pas qui est le survivant de la fratrie. Le saura-t-on ? Vous le découvrirez peut-être en lisant le récit, la force de ce mystère résidant dans le fait que chacun des 4 frères est un plausible candidat au titre de "Last Ronin", et j'avais d'ailleurs moi-même établi ma théorie avant l'ouverture du premier numéro.

La construction est un enchainement savamment orchestré de narration présente et de flashbacks de différents moments où les choses ont mal tourné pour conduire au statu quo d'ouverture du livre. Des moments qui bien qu'attendus resteront généralement bouleversants pour qui aiment les Tortues et leur entourage.


On comprend facilement pourquoi ce personnage est devenu si amer : si sa carapace ne s'est pas fissurée, son esprit est quand à lui fracturé et il voit littéralement ses défunts frères lui parler pour le conseiller ou le sermonner dans des séquences d'introspection émouvantes.

Pour autant, même si les fans auront certainement une dose d'émotion supplémentaire, les néophytes auront largement de quoi s'y retrouver car c'est une aventure qui peut se lire à la fois comme un prolongement des différentes séries existantes, mais aussi en totale autonomie et sans avoir besoin de suivre ou d'avoir suivi l'une des versions comics ou animée.

En effet les bases de la franchise sont entrées dans l'inconscient collectif des appréciateurs de pop-culture, quasiment au même titre qu'un batman ou un Spider-Man : on connait Splinter, Léonardo, Raphael, Donatello et Michelangelo ; quelle que soit la version, qu'il y ai une base de réincarnation ou non la recette de la pizza aux Tortues est la même : une famille de mutants vivants dans les égouts, rompue aux arts martiaux et qui combattent le crime à New-York et en particulier contre Shredder et son clan des Foot.

Si ces éléments vous parlent, vous avez tout ce qu'il vous faut pour vous lancer dans la lecture de « The Last Ronin », pour apprécier son histoire et être secoués par les drames qui jalonnent le récit des événements passés.


Une question qui parcourt l'histoire est celle de l'Honneur.

L'ennemi principal n'est pas particulièrement intéressant ni profond : il est clairement là pour être un ersatz de Shredder, un ennemi qui a acquis la puissance mais sans s'embarrasser d'honneur, qui aura réussi à accomplir la vision d'Oroku Saki de la manière la plus froide et cruelle possible.

Le rōnin, lui veut venger l'honneur son clan – quitte parfois à s'appliquer trop strictement le code qu'il appris – mais manque de la puissance pour faire face à une armée. Il devra donc l'acquérir pour accéder au duel qui lui permettra peut-être d'accomplir sa volonté (un duel qui pourra faire penser à celui entre Léonardo et Shredder dans la conclusion de l'arc classique « Retour à New-York »).

L'antagoniste est donc surtout une fonction au service de l'objectif du protagoniste, une justification pour ses tourments et l'état actuel de New-York, et un moteur pour le développement des personnages principaux qui font tout l'intérêt du titre et qui, au-delà de l'Honneur, permet de développer un peu plus l'une des thématiques majeures des Tortues Ninja : la notion de Clan et de Famille.



Pour ce qui est de la partie graphique, même si ce point a engendré des complications en particulier au lancement du projet le résultat final est vraiment très satisfaisant.

On passe par plusieurs style graphiques associées aux différentes époques narrées.

La partie présente montre un trait assez dure et des teintes grises et marrons qui correspondent bien à l'ambiance désespérée ; les visages sont marquées, permettant de voir le poids des années passées.

Les flashbacks du passé, sombres dans ce qu'ils racontent profitent de lignes tout de même plus douces et de couleurs plus claires, marquant bien la différence de deux périodes entre lesquelles l'espoir s'est perdu.

Quelle que soit la période, la mise en scène reste fluide avec des compositions très dynamiques. Les combats sont lisibles et enchainent les poses iconiques et les coups violents (si le comics n'est pas trash, il n'hésite pas à montrer ses personnages saigner ou dans des situations dures comme en fin de premier numéro).

L'histoire permet de retrouver beaucoup d'éléments connus de l'univers adaptés à cette vision du futur, et inclus même quelques clins d'œil comme des Eastman et Laird apparaissant en simples badauds.

Un vrai plaisir de lecture et une narration visuelle qui profite vraiment de la sortie compilée dans cette version intégrale dans laquelle le lecteur pourra se plonger et rester accroché d'un bout à l'autre sans subir les (trop) longues pauses ayant impacté la sortie VO.


Cerise sur le gâteau : des passages de la vie d'exil du rōnin sont dessinés par Kevin Eastman dans le plus pur style de la série classique, avec un récit des événements pouvant rappeler le tout premier numéro et l'histoire racontée par Splinter à ses fils.


Il y a toutefois certaines cases, ou certains personnages dans l'action qui peuvent être un peu moins détaillés, voire même légèrement grossiers. Rien de rédhibitoire à la lecture, mais un peu dommage quand on sait que les sorties ont été maintes fois repoussées mais qu'il reste des parties manquant encore de peaufinage.



Quelques mots sur l'édition pour finir. En plus du récit complet, le livre n'est pas avare en bonus : préface de Robert Rodriguez, postface de Kevin Eastman, génèse vue par Tom Waltz, une sélection variée de couvertures (parmis les dizaines créées tout au long de la parution) ainsi que des croquis et notes d'Eastman tirées de la version Director's Cut du premier numéro.

Bref, si je n'ai pas encore pu juger de l'objet son contenu est gonflé au mutagène pour en donner le plus possible pour le prix demandé et c'est vraiment un bon point.


  • Conclusion :

« Une lettre d'amour à chacun des univers passés des Tortues Ninja apportant une vision passionnée d'un futur potentiel »

C'est en ces termes que Kevin Eastman a décrit l'histoire de « The Last Ronin ».

Et c'est une description qui, je trouve, lui correspond tout à fait.


  • Si vous aimez déjà les Tortues Ninja, quelle que soit la version : cette nouvelle aventure est faite pour vous.

  • Si vous pensez encore que les Tortues Ninja est uniquement un truc de gamins : cette histoire est faite pour vous prouvez le contraire.

  • Si vous aimez les dystopies futuristes : cette vision d'un futur sombre est faite pour vous.

  • Si vous aimez le style « grim and gritty » des années 80 : ce récit aux personnages violents et énervés est fait pour vous.

  • Si vous aimez la vision du Chevalier Noir de Frank Miller : cet hommage est fait pour vous.

  • Si vous aimez les comics : ce comics est fait pour vous.


Lisez des comics, lisez les Tortues Ninja.

Lisez 🔵 Les 🔴 Tortues 🟣 Ninja 🟠


Fabien.

 

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